L'illusion de l'échiquier

Nicolas ERDRICH
26/12/2022



Qu'est-ce qu'une illusion d'optique ?

Une illusion d'optique est un phénomène qui met en rapport une représentation (par exemple une image) et un objet supposément représenté en montrant que, contrairement à ce qui semble être perçu, l'une ne correspond pas vraiment à l'autre. Le sujet croit voir quelque chose qui est contraire à la réalité de la représentation. Les illusions ont plusieurs domaines d'application, elles permettent en particulier de mettre en évidence certaines capacités et dispositions de notre système visuel et cognitif.

L'une des caractéristiques notables de l'illusion est sa persistence. Il ne s'agit pas d'une simple croyance fausse qui pourrait être rectifiée par un changement de jugement afin de ne plus apparaître comme telle. En effet, l'illusion perdure même lorsque nous nous rendons compte de notre erreur de jugement.

Notons aussi que les illusions d'optique ne doivent pas être confondues avec les hallucinations, ces dernières n'impliquant nullement le système visuel. Les illusions relèvent quelque chose du mécanisme de notre perception ordinaire, elles en indiquent le fonctionnement "normal", au contraire des hallucinations qui témoignent d'une sorte de disfonctionnement pathologique.

Illusion d'Adelson

Notre système visuel est régulièrement confronté au problème de déterminer la couleur des objets de notre environnement. Le neuroscientifique américain Edward Adelson (1952) a construit en 1995 une illusion concernant la perception des nuances d'une couleur. Plus précisément, l'image d'Adelson, reproduite ci-dessous, pose le problème de déterminer la nuance de gris de deux cases. Sur le petit échiquier les cases A et B semblent avoir des teintes différentes, la case A paraissant manifestement plus foncée que la case B. En utilisant le curseur afin de masquer les autres cases de l'échiquier, on peut constater que ce n'est pourtant pas le cas.


Checker shadow illusion of Adelson (1995)
Comparer les nuances de couleur des cases A et B

Comme on peut le constater aussi sur la figure ci-dessous, les couleurs des cases A et B sont identiques.


Les cases A et B ont la même couleur

Comprendre le mécanisme de l'illusion

Pour évaluer la couleur d'une case, il ne suffit pas d'estimer la luminosité renvoyée par elle, puisqu'une ombre portée assombrit la couleur de sorte qu'une surface de couleur claire placée dans l'ombre d'une chose réfléchit parfois moins de lumière qu'une surface de couleur sombre placée en pleine lumière.

La présente illusion met en évidence deux dispositions du système visuel pour évaluer la position des ombres et permettant d'en compenser l'effet afin d'évaluer les teintes "réelles" des objets. La première disposition est de compenser les variations progressives de luminosité dues aux ombres portées sur des objets dont nous présupposons que les couleurs sont identiques. Cette correction automatique imposée par notre système visuel est basée sur le contraste local. Un carreau qui apparaît plus clair que ses voisins est probablement plus clair en moyenne indépendamment de son éventuel obscurcissement par une ombre portée. Sur la figure d'Adelson, le carreau clair, bien que placé dans l'ombre du cylindre, est entouré de carreaux plus sombres : même s'il est foncé, il est toujours plus clair que ses voisins. En revanche, les carreaux sombres situés à l'extérieur de l'ombre sont entourés de cases plus claires, de sorte qu'ils paraissent sombres en comparaison. Les teintes d'un objet sont ainsi perçues de manière relative à son environnement. Notre système visuel lui attribue par défaut une couleur homogène et fixe.

La deuxième disposition de notre système visuel pour déterminer les nuances d'une couleur relève de la distinction des bords. Les frontières des ombres sont douces, contrairement aux bords de carreaux qui sont généralement nets. Notre système visuel tend à ignorer les changements progressifs du niveau de lumière pour évaluer la couleur des surfaces sans être induit en erreur en raison de l'obscurcissement produit par les ombres. Sur l'image, nous inférons l'existence d'une ombre portée non seulement en raison de bords flous, mais également par la présence d'un cylindre dont elle semble provenir. En outre, notre perception est abusée par nos croyances concernant la disposition en X des carreaux de même teinte sur un échiqiuer ordinaire. Nous considérons ce type de jonction comme une sorte de signal indiquant l'alternance des couleurs des cases adjacentes plutôt qu'en termes d'ombres ou d'éclairage.

L'image d'Adelson fait ainsi référence à un pavage en damier comme sur un échiquier en trois dimensions, objet familier dont nous savons que les couleurs des cases adjacentes sont distinctes. Nous croyons voir un tel objet, bien que la présente représentation n'en possède pas les mêmes propriétés : les deux cases A et B ne sont pas vraiement de couleurs alternées contrairement à ce qui serait le cas sur un véritable échiquier.

Ce dont témoigne une telle illusion, c'est moins un échec de perception qu'un succès. En effet, il nous est généralement plus important de comprendre la nature d'un objet de notre environnement plutôt que de parvenir à estimer précisément l'intensité lumineuse d'une surface donnée.

Pour approfondir le sujet :

Articles :
  1. Edward H. Adelson, « Lightness Perception and Lightness Illusions », In The New Cognitive Neurosciences, 2nd ed., M. Gazzaniga, ed. Cambridge, MA: MIT Press, pp. 339-351, 2000.
  2. Edward H. Adelson, « Perceptual Organization and the Judgment of Brightness », In Science, Vol. 262, 24 december 1993.
  3. Edward H. Adelson, « Checkershadow Illusion », Perceptual Science Group @ MIT.


Nicolas Erdrich
professeur de mathématiques
Académie de Strasbourg





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